Locaux infestés, manque de 150 agents : Laurent Martin de Frémont alerte sur la détresse des policiers des Alpes-Maritimes

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Publié le 13 avril 2025 à 14h40
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Selon le syndicat Un1té Police nationale, il manquerait entre 100 et 150 policiers sur le département des Alpes-Maritimes. Manque de moyens dans la police, locaux vétustes et infestés de cafards, projet d’un nouveau centre de rétention administrative et d’hôtel des polices à Nice, on fait le point sur le dispositif de sécurité du département avec Laurent Martin de Frémont, secrétaire départemental du syndicat.

Dans une publication Facebook, le syndicat fait état d’un manque criant d’effectif dans la police maralpine. « Les départs sont importants et les arrivées sont insuffisantes. Nos collègues ‘bricolent’ chaque jour pour reconstituer des patrouilles », peut-on lire dans le visuel créé pour l’occasion.

Il y a un véritable manque d’effectif dans la police ?

Laurent Martin de Frémont : Oui. Voilà maintenant des années que l’on évoque le problème auprès des différents ministres qui viennent en visite à Nice. On a aujourd’hui un véritable manque de vocation : plus personne ne se sent à même de travailler en tant qu’enquêteur dans les services de police. Tout simplement parce que cette filière est extrêmement chronophage, parce qu’on en demande de plus en plus chaque jour aux policiers, et notamment aux enquêteurs. Aujourd’hui, ils disent stop parce qu’ils travaillent sur un régime hebdomadaire qui les essore. Ils font des heures à gogo. Ce qu’ils voudraient, c’est travailler avec le même cycle de travail que les policiers de la voie publique : une quinzaine de jours dans le mois, sur des horaires extrêmement concentrés. Ce serait peut-être la solution, de notre point de vue.

Sur les Alpes-Maritimes, il manque 100 à 150 policiers pour qu’on puisse respirer.

Ceci étant, mes collègues de voie publique ne vont pas beaucoup mieux, hormis un cycle de travail intéressant. Parce qu’aujourd’hui, il n’y a plus suffisamment d’effectifs pour constituer des patrouilles de police. On va déshabiller Paul pour habiller Jacques. En réalité, ce qu’on fait, ce sont des transferts d’effectifs.

Il manque 100 à 150 policiers sur les Alpes-Maritimes pour qu’on puisse imaginer respirer et assurer notre service de manière sereine. Aujourd’hui, j’ose le dire, il est difficile d’assurer le service public police sur les Alpes-Maritimes, comme sur l’ensemble de l’Hexagone (à l’échelle nationale, l’antenne nationale du syndicat Un1té estime qu’il manquerait entre 5 000 et 6 000 policiers sur l’ensemble du territoire, NDLR).

C’est dû à un manque de vocation ?

Il est évident que les cycles horaires à eux seuls ne permettront pas de résoudre l’équation. En réalité, il faut recréer des vocations. Pour cela, il faut que l’Administration soit en capacité de reconnaître le travail des policiers. Parce que les policiers ont ce sentiment de ne pas être reconnus par leur propre hiérarchie. La police est l’une des professions les plus surveillées. Au-dessus de nous, il y a l’IGPN (l’Inspection Générale de la Police Nationale, la police des polices, NDLR), qui ne rate pas les policiers quand eux-mêmes se ratent. Mais nous aurions aussi besoin qu’on nous regarde un peu moins pour pouvoir travailler avec beaucoup plus de sérénité. Il y a eu une loi d’orientation et de programmation il y a maintenant deux ans, qui nous a donné plus de matériel, des véhicules neufs, un petit peu plus d’argent sur la feuille de paye. De notre point de vue, c’est bien, mais ce n’est pas suffisant.

On a une chance : dans les Alpes-Maritimes, les concitoyens nous apprécient et sont plutôt contents de voir la police.

On a l’impression qu’être policier est un sacerdoce, parce qu’on est souvent décriés par le public. On sait qu’une extrême majorité des Français apprécie sa police. Seulement, cette extrême majorité ne s’exprime pas beaucoup. Ceux qu’on entend, ce sont ceux qui la critiquent, comme pendant l’affaire Nahel (en 2023, un policier avait tué à bout portant Nahel, 17 ans, qui tentait de s’enfuir à bord d’un véhicule. En mars 2025, le parquet de Nanterre a requis le renvoi du policier devant la Cour d’assises, NDLR). On a une chance sur les Alpes-Maritimes, c’est qu’on a globalement des concitoyens qui nous apprécient et qui sont plutôt contents de voir la police quand elle intervient. Ce n’est pas le cas de tous les départements.

Que pensez-vous du projet de futur hôtel des polices, actuellement en construction à Nice ? Le projet doit réunir 1 200 agents de la police nationale, 800 agents de la police municipale et être livré fin décembre 2025.

On a entendu beaucoup de superlatifs sur cet hôtel des polices. Nous, on est un peu comme Saint-Thomas, on va attendre de voir pour s’exprimer. Ceci étant, ce serait malhonnête que de vous dire qu’on n’attend pas ce projet, parce qu’évoluer dans des locaux neufs va faire du bien au moral des policiers qui travaillent dans des conditions abominables, notamment du côté de la caserne Auvare (à Nice, quartier Saint-Roch, NDLR). Avec la présence de cafards, de blattes, de rats : pas un personnel d’une entreprise privée accepterait de travailler dans ces conditions-là.

Sur le travail aux côtés de la police municipale, je vous avoue qu’on a évolué sur le sujet, parce que la société a changé. Aujourd’hui, on est capables de dire qu’il faut travailler ensemble et qu’on peut travailler dans les mêmes locaux dès lors que les missions sont bien définies pour les uns et pour les autres. Ça semble être le cas, mais on va apprendre à mieux se connaître.

Je ne suis pas très optimiste sur la date de livraison qui a été annoncée, mais pourquoi pas ? Il faut laisser sa chance au projet parce que j’y crois. L’État et la ville de Nice ont mis le paquet. Ça va être une première en France.

Et concernant le projet de nouveau Centre de Rétention Administrative (CRA) dans le département ?

Ça fait quand même cinq ans qu’on est en cours de réflexion. À un moment donné, il va falloir que la fumée sorte et qu’on nous annonce enfin le nouveau centre de rétention. On a des collègues qui travaillent dans des conditions abominables. Il y a des visites de politiques qui se succèdent ici à Nice : tous disent qu’on œuvre dans des conditions immondes. Et ça dépasse la crasse.

On a des locaux qui ne sont plus adaptés à la population, avec des individus de plus en plus violents, extrêmement agressifs et qui ont plus un profil de gens qui sortent ou qui vont bientôt rentrer en prison. On a une pièce dont le plafond a été perforé pour une évasion en toute quiétude (en décembre 2024, neuf détenus se sont échappés du CRA, quartier Saint-Roch à Nice, NDLR). C’est dû à un manque de matériel, un manque d’effectifs, un manque de moyens, un manque de caméras, un manque de beaucoup de choses, et puis des locaux vétustes contre lesquels on ne peut plus rien faire. Aujourd’hui, je vous le dis officiellement, les conditions ne sont plus remplies pour maintenir ces individus dans ce centre de rétention à Nice.

Avec 3 allumettes, on leur demande de construire un château.

Mais sur ce projet, tout le monde se renvoie la balle. Le département renvoie la balle à la ville de Nice. La ville de Nice renvoie la balle au département. En même temps, qui, aujourd’hui, aimerait vivre à côté d’un CRA ? Pas grand monde. Donc personne n’est en capacité de nous dire factuellement quand pourrait sortir le futur CRA. Je vais même plus loin : personne n’est capable de nous dire s’il a trouvé ou pas un terrain.