Clash Zelensky-Trump : « L’Europe devra accepter d’être plus brutal pour rééquilibrer le rapport de force avec les États-Unis »

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Publié le 10 mars 2025 à 11h56
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Le clash entre Volodymyr Zelensky et Donald Trump a plongé le monde dans une totale incertitude. L’Europe et l’Union européenne tentent tant bien que mal de réagir. Pour Luc Dumont, directeur des programmes de l’ILERI, l’Institut des relations internationales et des sciences politiques à Nice, il est urgent de rétablir « un rapport de force favorable à l’Ukraine et à l’Europe ».

Le clash entre Zelensky et Trump est-il une grande première dans l’histoire de la diplomatie internationale ?

Luc Dumont : Oui, sans aucun doute. Le corps diplomatique est abasourdi par ce qu’il s’est passé. Encore une fois, nous avons beaucoup d’analystes qui reviennent sur peut-être une mauvaise préparation de Zelensky, ou l’absence de traducteur. Nous savons que la langue est excessivement importante dans le cadre de ce type de discussions qui sont en plus particulièrement émotionnelles. Et puis, d’autre part, Donald Trump est quelqu’un qui ne pense pas avec notre logique. C’est quelqu’un qui est à fond dans le registre du pathos, de l’émotion. Il se fiche royalement de la véracité de ce qu’il dit. Tout comme du droit international. Et au-delà de cela, Trump était accompagné d’un pitbull, son vice-président, J-D Vance, extrêmement agressif dans une relation extrêmement brutale.

Donald Trump impose un rapport de force extrêmement brutal et émotionnel

Est-ce que la réaction de Donald Trump n’était pas prévisible ?

Donald Trump est d’abord quelqu’un de très imprévisible, mais son imprévisibilité est quant à lui prévisible. Et donc, je pense que Volodymyr Zelensky s’est retrouvé d’une certaine façon dans un guet-apens. Il y a eu un passif entre ces deux hommes depuis le premier mandat de Trump, quand il avait essayé d’obtenir des informations ukrainiennes dans le cadre de sa première campagne. Ces deux hommes ne s’aiment pas. Le président américain respecte les hommes forts, en termes de puissance militaire ou de style, ce qui n’est pas nécessairement le cas de Zelensky aux yeux de Trump. Il considère les Européens comme faibles. Il impose alors un rapport de force qui est extrêmement brutal, extrêmement émotionnel. Alors que nous, les Européens, nous réfléchissons principalement en termes de droit. Mais Trump et Vladimir Poutine s’en fichent. Et à un moment, il faudra sans doute accepter d’être peut-être plus brutal, nous aussi, dans nos rapports de force, ou en tout cas de s’armer en conséquence pour disposer d’une puissance militaire derrière nous qui permet un rapport de force plus équilibré.

L’Europe est-il à un tournant de son histoire ?

Des tournants de l’histoire, nous en vivons en permanence. Nous pensons qu’il faut garder la tête froide. Mais ce que nous voyons, c’est que les Européens avancent de manière dispersée. Quand Emmanuel Macron fait un sommet avec quelques pays, il fâche le reste des Européens. Deux jours après, il faut refaire un sommet avec les autres pays qui n’étaient pas conviés au premier. Donc, nous voyons bien que le cadre de discussion au niveau européen est mouvant, mal coordonné et lent. Le sommet des chefs d’État à Bruxelles arrive encore une fois tard. Et puis la position européenne, elle est dispersée aussi. Victor Orbán (Premier ministre hongrois) et Robert Fico (Premier ministre slovaque) font monter les enchères. Ils ne sont pas alignés sur le reste des pays européens. Et ils ne sont pas les seuls. Les opinions publiques européennes ne sont pas à 100% derrière l’Ukraine.

Nous ne pouvons pas nous permettre d’être en dehors des négociations

Quelles sont les solutions face à Donald Trump et dans une Europe divisée ?

Écoutez, il y a bien entendu la vision idéale d’un avancement rapide à 27. Et puis il y a la vie réelle. La solution peut être trouvée dans le cadre de l’Union européenne. Mais il y en a d’autres. Je pense au G7. Nous avons quatre pays européens qui y sont, l’Allemagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni avec leurs collègues américains, canadiens et japonais. Il y a un ensemble de cadres dans lequel l’Occident, en tout cas les alliés historiques de l’Ukraine, se parlent. Il va falloir que, dans ces différents cercles, très rapidement, nous puissions rétablir un rapport de force le plus favorable possible à l’Ukraine et à l’Europe. 

L’Europe doit faire partie des discussions pour un accord de paix ?

La guerre est sur notre continent. Elle menace nos intérêts. Nous ne pouvons pas nous permettre d’être en dehors des négociations, ou des discussions qui tournent autour de cette guerre d’agression menée par la Russie. Emmanuel Macron s’est repositionné par rapport au parapluie nucléaire français récemment. Au-delà de la défense européenne, il y a aussi la question du renseignement. La décision de Trump d’arrêter le renseignement pour les Ukrainiens vise à tordre le bras de ses alliés anglais pour stopper aussi son renseignement vis-à-vis des Ukrainiens. Il est clair que la relation que nous avons avec les États-Unis est une relation qui, d’amicale, est passée à quelque chose de beaucoup plus brutal.