Besançon, Nice, Angoulême, Saint-Étienne… À l’approche de la période estivale, plusieurs villes adoptent des arrêtés anti-mendicité. Depuis le 1ᵉʳ mai, la maire centre-droit d’Amiens s’est attirée les foudres de plusieurs associations d’aide aux sans domicile en publiant un texte interdisant la mendicité dans l’hypercentre de la ville. Un arrêté que certains jugent illégal.
Le texte adopté le 25 avril dernier par la maire d’Amiens fait grincer des dents. Il interdit tout acte de mendicité du 1ᵉʳ mai au 31 août 2024, du mardi au samedi et de 8h à 20h, ceci dans ce qui correspond à l’hypercentre de la ville. Les contrevenants à cet arrêté risquent donc une amende de 38 € (pouvant grimper jusqu’à 150 €).
Éviter le trouble à l’ordre public
Brigitte Fouré, la maire UDI d’Amiens (centre-droit), justifie sa décision par « les plaintes récurrentes des commerçants ainsi que les interventions multiples des forces de l’ordre pour faire cesser ces troubles à l’ordre public », avant de citer, entre autres, « [la] mendicité agressive, [l’]alcoolisation [et la] gêne à la libre circulation des piétons ».
De son côté, le président de la fédération des commerçants d’Amiens explique que la mendicité n’est pas un problème en tant que telle. « C’est le comportement dans cette mendicité. L’agressivité existe. Elle est ressentie par les commerçants et par les clients. Donc ce qu’on souhaite, c’est enrayer ça », a détaillé Gaël Mordac à France 3 Hauts-de-France.
« Résumer la mendicité à de l’agressivité, c’est être aveugle à la réalité »
Suite à cet arrêté, de nombreux citoyens et associations se sont mobilisés pour tenter de faire annuler la disposition. Une lettre a été adressée à la maire d’Amiens par l’association Maraudes Citoyennes Amiénoises, appelant à ne pas faire d’amalgame. « Réduire grossièrement ces êtres humains à un public jugé agressif et faisant fuir des potentiels clients et clientes, n’est pas une chose humaine», écrit l’association avant de poursuivre. « Vous avez décidé que mendier ce n’était pas assez bien, pas assez beau pour les rues de notre ville. Alors plutôt que d’essayer de comprendre, d’essayer d’aider, vous préférez interdire », reproche la lettre, qui a conduit ensuite à la mise en ligne d’une pétition. Elle a récolté plus de 5 300 signatures à ce jour.
La mendicité, pratique légale depuis 1994
D’autres villes ont déjà pris ce genre d’arrêté dans le passé, qui font rarement l’unanimité (Besançon en 2018, Strasbourg en 2019, Nice en 2022). Des décisions qui sont, dans certains cas, encore en vigueur, quand d’autres ont été abrogées ou suspendues par les tribunaux. Car au-delà de l’aspect humain et social, ce genre d’arrêtés pose aussi question d’un point de vue législatif. Depuis 1994, la mendicité n’est plus considérée comme un délit. C’est la raison pour laquelle le maire d’une commune doit prendre un arrêté s’il souhaite l’interdire, mais la décision doit être justifiée.
La nécessité d’un problème caractérisé
« Le maire dispose d’un pouvoir de police administrative qui lui permet de restreindre ou organiser les libertés par rapport à une problématique de tranquillité ou de salubrité publique », explique à Hexact Maître Éric Landot, avocat au barreau de Paris, spécialisé dans la défense des collectivités publiques. Dans le cas des arrêtés anti-mendicité, il faut donc qu’un problème ait été constaté. « Une rue étroite, un jour de marché, une sortie d’école… Des circonstances compréhensibles qui ne permettent pas la mendicité. Par exemple, qu’au-delà de trois personnes assises, le trottoir devienne trop étroit pour que chacun puisse circuler en sécurité », poursuit l’avocat.
« Le juge exige un arrêté précis et circonstancié »
À Amiens, trois associations ont déposé un recours devant le tribunal administratif. Elles vont demander une suspension en référé de l’arrêté, c’est-à-dire une suspension immédiate de la décision avant que l’affaire soit jugée sur le fond. L’arrêté sera examiné le 14 mai à 15h30 par un juge des référés.
Les arrêtés anti-mendicité doivent répondre réellement à un problème.
Maître Éric Landot, avocat spécialisé dans la défense des collectivités publiques
« Lorsqu’un arrêté est remis en cause, comme c’est le cas à Amiens, le juge vérifie deux choses : d’abord si le maire est bien en train d’agir pour des mesures de sécurité ou de salubrité publique, et ensuite si la décision est bien proportionnelle. Interdire la mendicité dans toute une ville, par exemple, n’est pas possible », explique Éric Landot. Ainsi, l’arrêté doit toujours être applicable sur une période donnée et sur une zone géographique précise. Ce qui semble être le cas pour l’arrêté d’Amiens.
Le juge pourra aussi analyser, comme cela a déjà été fait dans le cas d’Angoulême, s’il existe des signalements de comportements agressifs dans les zones ciblées. « Les statistiques propres à chaque quartier sur la délinquance ou sur les plaintes des voisins et commerçants sont des éléments pris en compte par le juge administratif », détaille Maître Landot.
Une mesure anti-fraternelle ?
Quand ce genre d’arrêté est jugé légal sur ses mesures, il est parfois attaqué sur son caractère anti-fraternel. En ce sens, une citoyenne avait saisi, en 2018, le tribunal administratif de Besançon pour demander la suspension d’un arrêté anti-mendicité, estimant qu’il portait une atteinte au principe de fraternité, régit par l’article 2 de la Constitution.
Un « argument de communication » pour Maître Landot. « Le juge reconnaît ce principe dans le droit d’aider autrui, mais cela n’a jamais glissé vers un droit à mendier partout. C’est un argument de mobilisation de la population, usuel dans le monde associatif pour des raisons tant militantes que communicationnelles. Mais en droit, c’est un argument qui ne fonctionne pas dans les contentieux sur les arrêtés anti-mendicité », conclut l’avocat spécialisé dans la défense des collectivités publiques.